Homologation : un pilier de la démarche de progrès
En raison des avancées de la recherche scientifique, les critères d'homologation des matières actives phytosanitaires se durcissent. Résultat : les solutions disponibles, si elles sont moins nombreuses, sont aussi de plus en plus sûres et respectueuses de l'environnement et de la santé.
Chacun sait que dans l’Union européenne et donc, en France, les produits phytosanitaires ne peuvent être vendus sans avoir fait l’objet, au préalable, d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Ce qui est moins connu du grand public, en revanche, ce sont le niveau d’exigence et la durée de la procédure d’enregistrement ou d’homologation. Ces derniers contribuent pourtant à la protection de tous : consommateurs, utilisateurs et environnement.
L’homologation repose sur une « bonne pratique agricole » (Good agricultural practice ou Gap, en anglais), qui définit les conditions d’utilisation du produit contenant la substance active car, rappelons-le d’emblée, les produits sont utilisés pour combattre une maladie, un insecte ou une mauvaise herbe qui empêchent les cultures de donner un rendement optimal : c’est le bénéfi ce attendu. Cette bonne pratique agricole va défi nir les évaluations des risques qui seront conduites pour démontrer un usage acceptable, sans impact sur la santé humaine ou l’environnement.
Un premier niveau européen
Le processus d’homologation se déroule en deux temps : il débute au niveau européen avec l’approbation des substances actives phytosanitaires par l’European food safety authority (Efsa). Pour chaque substance active, une demande est déposée par le fabricant, auprès d’un État membre rapporteur. Le dossier doit contenir tous les renseignements techniques et scientifi ques, en particulier les résultats d’analyses de toxicité, réalisés conformément aux protocoles fixés par les lignes directrices de l’OCDE.
L’agence analyse la validité et la recevabilité des études fournies par les industriels et réalise sa propre évaluation, sur la base de ces études. À la fin du processus, l’Efsa établit un rapport de conclusions qui fixe les valeurs de référence qui devront être utilisées pour les évaluations des risques pour l’homme et l’environnement. Ces conclusions sont transmises à la Commission européenne, qui décide de l’approbation ou non de la substance active. La décision est prise au vote, chaque État membre disposant d’un nombre de voix proportionnel au nombre d’habitants.
Un deuxième niveau national
Une fois la substance active approuvée, « la décision d’AMM des spécialités commerciales appartient aux États », explique Michel Urtizberea, chef du service homologation de BASF Agro, car la pression parasitaire, l’occurrence de maladies ou l’émergence de mauvaises herbes peuvent être très diff érentes entre les pays. En France, c’est l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui est chargée d’instruire les dossiers. La durée d’évaluation est censée être de 16 mois maximum. Dans la réalité, les délais d’évaluation peuvent être beaucoup plus longs, de l’ordre de 36 à 48 mois, voire plus.
Les évaluations des risques pour l’homme vont couvrir à la fois : le consommateur exposé au niveau des résidus dans les aliments consommés, l’opérateur exposé lorsqu’il charge et applique le produit, le travailleur exposé lorsque qu’il rentre dans la parcelle pour travailler sur la culture traitée, le passant ou les résidents exposés lors du passage du pulvérisateur ou par dérive. Pour l’environnement, les évaluations couvriront les impacts sur toutes les cibles potentielles : daphnies, poissons, algues, sédiments... en milieu aquatique, mammifères et oiseaux, abeilles, vers de terre, etc. Pas d’homologation sans un risque acceptable pour tous les impacts potentiels envisagés.
Des facteurs de sécurité
Lors de ces évaluations, les seuils à respecter intègrent des facteurs de sécurité. Par exemple, en termes de sécurité alimentaire, un facteur d’au moins 100 est pris entre les résultats sur les animaux et l’homme. Si un même niveau de précaution était appliqué aux distances de sécurité routière en France, les voitures roulant à 90 km/h devraient être distantes de 5 km !
« Lorsque les données pour défi nir l’exposition sont considérées comme peu nombreuses ou insuffi santes, la valeur par défaut sera particulièrement, voire extrêmement conservatrice. Si l’évaluation d’une substance selon le modèle avec cette valeur par défaut ne passe pas, le demandeur peut conduire de nouvelles études spécifi quement avec le produit revendiqué », détaille Hélène Villechalane, du service homologation de BASF Agro. Une démarche longue et très coûteuse.
En définitive, une matière active et les produits qui la contiennent ne peuvent être autorisés que s’il est démontré que tous les risques sont acceptables, dans le cadre de leur utilisation. Et même ainsi, l’approbation d’une substance active n’est acquise que pour une durée limitée, de sept à quinze ans. À chaque échéance, il faut renouveler la demande d’enregistrement pour la substance active au niveau européen, puis réhomologuer chaque produit au niveau national.
Une évolution permanente
« Globalement, ce qui est homologué aujourd’hui est plus sécurisé que ce qui a été homologué hier, mais moins sécurisé que ce qui sera homologué demain », schématise Michel Urtizberea. Car les critères à satisfaire évoluent en fonction des avancées de la recherche scientifique. De nouveaux tests sont mis en place, intégrant de nouvelles données toxicologiques ou écotoxicologiques. C’est le cas, par exemple, des études chroniques pour les abeilles, qui visent à apprécier les eff ets d’une matière active sur leur comportement, sur le temps de retour à la ruche, etc. Conséquence, « les conditions de mise sur le marché des produits phytosanitaires en général sont de plus en plus exigeantes. Pour les abeilles, arriver à homologuer un insecticide relève maintenant de l’exploit », selon le chef du service homologation de BASF Agro.
L’instauration de ZNT « riverain » par l’Anses, en 2016, a également changé la donne, même « s’il s’agit là d’une mesure de gestion des risques portant sur la façon d’utiliser les produits, ces mesures peuvent impacter fortement la mise en marché d’un produit », souligne Michel Urtizberea. En effet, le cadre règlementaire très strict encadrant la mise sur le marché des produits phytos peut être infl uencé par des décisions politiques. Sur des dossiers emblématiques comme le glyphosate ou les néonicotinoïdes, la pression sociétale a eu autant d’influence, sinon plus, que les arguments scientifiques.
La contrepartie de ces évolutions est que les critères d’homologation sont de plus en plus difficiles à remplir... et que la pharmacopée diminue : entre 2008 et 2018, 100 matières actives de synthèse (sur 400) ont été interdites au sein des pays de l’UE. Dans le même intervalle, pas plus de 20 nouvelles homologations ont été accordées, dont 80 % à des microorganismes de biocontrôle.
« Vous avez d’un côté une perte de solutions pour les agriculteurs et de l’autre, une industrie qui a de moins en moins les moyens de combler ces manques. Dans ce contexte, BASF Agro soutient les substances actives existantes, garantit leur effi cacité tout en améliorant leur profil environnemental et toxicologique. Mais nous recherchons aussi activement de nouvelles molécules, afi n de participer au développement de l’agriculture durable », conclut Michel Urtizberea.
BIOCONTRÔLE : UNE PROCÉDURE ALLÉGÉE
C’est l’Europe qui le dit : les produits de biocontrôle doivent faire l’objet d’une évaluation, au même titre que les produits conventionnels(1). Mais comme la plupart d’entre eux sont issus de bactéries, ou dans une moindre mesure de levures, ils bénéficient de critères d’homologation plus simples et de procédures censées être plus rapides.
Par exemple, certaines substances(2) ne font pas l’objet d’une évaluation de la partie résidus. Ce qui permet de fixer des délais avant récolte courts, de un à trois jours selon les cultures.
Contrairement aux matières actives conventionnelles, les biocontrôles ne sont pas non plus soumis à des tests toxicologiques chroniques, c’est-à-dire conduits sur toute la durée de vie des animaux de laboratoire. Les coûts sont donc bien inférieurs. Autre point important (bien que ne faisant pas partie de l’évaluation) : les taxes prélevées par l’Anses sont 25 à 37 fois inférieures pour un biocontrôle que pour une molécule de synthèse !
(1)Règlement CE n°1107/2009
(2)Les substances actives inscrites à l’annexe IV du règlement CE n°396/2005