Homologation des pesticides : qui sont les semeurs de doute ?

Régulièrement, des activistes demandent à l’État de renforcer le processus d’autorisation et de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Pourquoi cette surenchère ? Les règles actuelles et les autorités sanitaires chargées de l’évaluation des risques sont-elles vraiment laxistes ?


Depuis quelques mois, la croisade contre les pesticides a trouvé un nouvel angle d’attaque : les processus d’évaluation et d’autorisation des produits phytosanitaires présenteraient des failles, il faudrait donc les durcir de toute urgence. C’est en invoquant notamment cet argument que cinq associations environnementalistes ont déposé, en janvier de cette année, un recours en « carence fautive » contre l’État français pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité. Dans sa requête, ce collectif appelle ainsi à renforcer le processus d’évaluation des risques liés à l’utilisation des pesticides. Selon l’une de leurs porte-parole, celui-ci répondrait « aux impératifs économiques de l’agrochimie plutôt qu’à une véritable protection du vivant ». Vraiment ?


Rappelons pour commencer que la réglementation européenne relative à la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytosanitaires est l’une des plus strictes au monde. Elle impose une évaluation des risques pour la santé humaine ou animale et la protection de l’environnement selon des critères extrêmement stricts. Le coût et la durée pour développer et homologuer un produit phytosanitaire n’ont cessé d’augmenter en Europe depuis vingt ans pour atteindre le niveau de celui des médicaments. Le processus exige un budget de 300 millions d’euros et plus de dix ans d’études. En outre, cette réglementation évolue en permanence pour intégrer l’avancée des connaissances scientifiques et tenir compte des nouvelles attentes sociétales. Par ailleurs, la France s’est dotée du dispositif de pharmaco-vigilance piloté par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui permet de détecter d’éventuels effets indésirables de ces produits après leur mise sur le marché pour pouvoir restreindre ou suspendre leur utilisation. Du fait de ces coûts croissants, le nombre de produits phytosanitaires autorisés en France a été divisé par deux entre 2008 et 2020.

Malgré cela, ce cadre réglementaire n’est pas jugé assez protecteur pour les associations requérantes dans le cadre du recours Justice pour le Vivant qui opposait cinq associations environnementalistes à l’État. Elles estiment que l’évaluation devrait aussi prendre en compte les effets chroniques, sublétaux, indirects et « coktails » des pesticides. En réalité, leur objectif est l’interdiction pure et simple de ces solutions, rendues responsables de « l’effondrement de la biodiversité » sur terre, dans l’air, dans l’eau et sous la terre ! Parmi ces associations, on retrouve les juristes de Notre affaire à tous, à l’origine de l’action qui a conduit la justice à ordonner au gouvernement de réparer le préjudice écologique lié au non-respect de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Forts de cette jurisprudence, ce collectif espérait obtenir gain de cause dans cette nouvelle action. Il était d’autant plus confiant que la rapporteuse publique, censée éclairer les juges, avait rendu des conclusions qui allait dans son sens. Le tribunal administratif de Paris, qui a rendu son délibéré le 29 juin , en a décidé autrement. S’il reconnaît une carence de l’État sur certains points, il déboute les associations sur le processus d’homologation et n’ordonne pas de revoir les méthodologies d’évaluation des risques, estimant qu’il ne peut être établi juridiquement avec certitude qu’une meilleure évaluation permettrait de « modifier significativement la nature ou le nombre [des pesticides] mis sur le marché ».


Une tout autre décision sur ce point aurait été lourde de conséquences. Elle aurait contribué en particulier à continuer à saper la légitimité des instances chargées de garantir notre sécurité sanitaire - l’Anses au niveau national et l’Efsa au niveau européen. Elles n’ont pas besoin de cela. Depuis plusieurs mois, des articles de presse se font l’écho de tensions entre l’Anses et son conseil scientifique sur des dossiers sensibles. Certains n’hésitent pas à mettre en cause la crédibilité de l’expertise scientifique de l’Anses et à cautionner tel ou tel gourou mettant en avant des solutions simplistes. L’éditorialiste Nicolas Domenach s’interroge d’ailleurs, dans le magazine Challenges du 15 juin 2023 , sur le soutien incompréhensible de certains politiques au Dr Raoult et son prétendu médicament miracle contre le Covid. « On entendait d’autant moins les mises en garde des scientifiques sérieux que les politiques se bousculaient pour lui apporter concours et légitimité. » Dans le climat de défiance actuel envers les institutions et l’expertise scientifique, c’est un jeu dangereux. Les agences sanitaires constituent un rempart irremplaçable contre l'arbitraire et la démagogie. Donnons-leur au contraire les moyens de travailler sereinement. Notamment, comme nous l’évoquions dans une tribune précédente, en la déchargeant de l’autorisation de mise sur le marché ou de retrait des produits phytosanitaires.


Le dénigrement permanent des pesticides finit par rendre totalement invisibles les bénéfices qu’ils apportent dans le cadre d’un usage raisonné en termes d’approvisionnement des filières agricoles, de souveraineté et de sécurité alimentaires, comme l’a rappelé Phyteis, notre organisation professionnelle dans le mémoire qu’elle a déposé dans le cadre de l’action évoquée plus haut . Les produits phytosanitaires font partie de la panoplie des solutions de lutte contre les bioagresseurs utilisées par les agriculteurs de notre pays, au même titre que l’agronomie digitale, les biotechnologies et la bioprotection. Les priver de ces solutions les exposerait à des pertes de rendement et de qualité des denrées agricoles insupportables. Et fragiliserait encore plus notre souveraineté alimentaire. Est-ce cela que nous voulons ?

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